La voie de l'ennemi de Rachid Bouchareb

Le 7 mai est sorti dans les salles la voie de l’ennemi, un film de Rachid Bouchareb. C’est en lisant le dossier de presse lors de l’avant première que j’ai découvert qu’il s’agissait d’une libre adaptation du film 2 hommes dans la ville de José Giovanni sorti en 1973. Avec des acteurs tels que Jean Gabin, Alain Delon et un scénariste aussi sulfureux que José Giovanni, j’ai trouvé l’entreprise du réalisateur d’Indigène audacieuse et plutôt risquée.
Selon ses propres termes lorsqu’il nous a rejoints après la projection : « avec de bons acteurs, un bon script, une bonne équipe technique, de quoi bien manger et bien boire, on fait un bon film ».
Pour les acteurs, le casting est impressionnant avec Forest Whitaker dans le rôle que tenait Alain Delon, Harvey Keitel pour le nouveau Michel Bouquet et Blenda Blethyn pour incarner l’éducateur que jouait Jean Gabin.

Au premier abord, surprenant dans l’univers plutôt masculin et viril de Giovanni, (le clan des sicilien, 2 hommes dans la ville, la scoumoune), le parti pris de choisir une femme est intéressant à 3 niveaux :

cela cadre bien avec la tendance pour évoquer des valeurs humanistes,
pour marquer la distance que prend Rachid Bouchareb avec le scénario original,
la palette des interactions possibles entre les personnages, en particulier les rapports de force, est élargie.

Forrest Whitaker plus mince que d’habitude et très stylé dans ses habits de black muslim des années 60 réussit à paraitre aussi fragile que terrifiant. Harvey Keitel qui joue le rôle du shérif évite l’écueil du WASP pur et dur tout en faisant bien comprendre que son personnage ne vote pas démocrate.

Pour le script, alors que Giovanni, sensible pour y avoir échappé de justesse, abordait la question de la peine de mort, Bouchareb se penche plutôt sur le thème de la rédemption. Son personnage principal est un condamné qui sort de prison et tente de se réinsérer dans la vie. Converti à l’islam durant son passage en prison, il espère grâce à la foi maitriser la terrible violence qui demeure en lui. Lui sera t il alors possible de s’affranchir de son passé et des personnes qui en font parti ?
Les choix de Rachid Bouchareb diffèrent de l’histoire de Giovanni jusque dans la fin comme mon spécialiste du cinéma français le lui a fait remarquer durant les questions réponses. De son propre aveu, la fin de son film lui a posé un réel problème et certaines scènes ont été coupées au montage. Ainsi à aucun moment dans le film on ne voit la scène d’où est tirée l’affiche officielle.
Pour la technique, indiscutablement le réalisateur franco-algérien sait comment filmer le désert. L’action se déroulant au Nouveau Mexique, certains plans sont très esthétiques et renforcent cette impression de no man’s land hors du temps. Cependant, sans vous spoiler en dépit de son importance dramatique, l’une des scènes clefs du film n’est malheureusement pas assez réussie.
Filmée en plan moyen, on remarque dans cette séquence, où une femme est battue, que l’acteur retient clairement ses coups. Recourir à une astuce en plaçant entre la camera et l’action un obstacle qui laisserait au spectateur une plus grande part à l’imagination serait bien plus effrayante et aurait eu ainsi plus d’impact.

Je déduis donc que durant le tournage la cantine était sympa car le film de Rachid Bouchareb est effectivement bon. Seulement avec de tels acteurs, un scénario plus original et en étant plus rigoureux sur les scènes clés (l’agression de la femme et la fin), il aurait pu faire beaucoup mieux de son film, pourquoi pas un masterpièce ?