Le cinéma n’a pas échappé aux bouleversements des habitudes de consommation dus aux confinements. S’il sera à la discrétion des plateformes de diffusion de proposer des films non formatés qu’adviendra-t-il d’œuvres comme le Chevalier Vert dont la pleine mesure s’apprécie en salle bien plus qu’ailleurs.
Quand un être végétal exhorte le roi Arthur et ses chevaliers à le frapper à condition qu’un an plus tard le porteur du coup se rende à la chapelle verte pour y recevoir la même chose, Gauvain qui ne s’est illustré d’aucun haut fait n’hésite pas. Il lui tranche la tête. En la ramassant le chevalier vert lui rappelle son rendez-vous avant de s’éloigner hilare.
Le chevalier vert est l’adaptation au cinéma du poème Sire Gauvain et le Chevalier vert écrit au XIVème siècle par le Pear Poet. Énigmatique auteur à l’identité inconnue encore aujourd’hui, 3 autres œuvres également écrites en moyen anglais lui sont attribuées : Pearl d’où son surnom, Patience et Cleanness.
Pour le Chevalier Vert, David Lowery s’est accordé quelques libertés en intégrant à l’histoire d’autres légendes et références fantastiques. Toutefois le voyage initiatique du jeune Gauvain mettra bel et bien à rudes épreuves les 5 valeurs auxquelles doit se tenir tout chevalier, l’honneur, la sagesse, le courage, la générosité et la loyauté.
Appréciant visiblement l’Excalibur de Boorman, le réalisateur primé à Deauville pour son Ghost Story a opté pour une ambiance plus sombre, très organique avec de magnifiques plans larges sur la campagne irlandaise, des plans rapprochés iconiques et un travail remarquable de la photographie jouant sur la lumière et des couleurs ocres.
Déjà saisissante via son rôle anémique dans Couple in a Hole de Tom Geens, Kate Dickie reste tout autant intrigante en reine Guenièvre. La vedette lui est toutefois disputée par Alicia Vikande à la beauté hypnotique qui campe là la fois la femme de Bertilak mais aussi Essel une prostituée qui souhaite se marier à Gauvain.
Ce dernier est brillamment incarné par Dev Patel. Le Jamal de Slumdog Millionnaire parvient à faire totalement oublier ses origines indiennes pour livrer à l’écran un apprenti des plus arthuriens. A la fois fier et vulnérable, il porte littéralement le film sur ses épaules comme le fait Gauvain avec sa hache.
Ayant déjà composé pour David Lowery, Daniel Hart délivre d’une superbe bande originale mêlant chants païens et musique moderne afin de créer une ambiance tantôt angoissante à la limite du film d’horreur parfois à la dimension épique d’une difficile croisade qu’il faut livrer contre soi.
Attention toutefois à ne pas se méprendre, le Chevalier Vert est tout le contraire d’un film d’action débordant d’effets spéciaux et de batailles acharnés, il s’agit davantage d’un film d’ambiance qui embarque dans une allégorie où imaginaire et réflexion sont fortement sollicités.
L’espace, l’inconnu et la solennité qui peuvent régner dans une salle de cinéma se prêtent totalement à l’onirisme du Chevalier Vert. Si aucune sortie en France ne semble pour l’instant à l’ordre du jour, une diffusion sur un écran de télévision ou d’ordinateur amputera inévitablement l’expérience au risque de passer à côté. Ensemble prions.